TOTA MULIER IN UTERO

Projet en partenariat avec le département d’histoire de la médecine de la Bibliothèque interuniversitaire de santé
et le projet Perfecta (H. Cazes)

Introduction
Jacqueline Vons

Les traités d’anatomie publiés aux XVIe et XVIIe siècles décrivent l’homme (homo) au sens général d’être humain, en principe asexué, bien que les figures et représentations iconographiques soient plus souvent masculines que féminines. La part relative au genre est donc laissée à la description des organes spécifiques à l’homme et à la femme, ce qui n’est pas synonyme de reconnaissance d’une différenciation, les organes génitaux féminins étant souvent décrits sur le modèle inversé des organes masculins. S’appuyant sur ce constat, de nombreuses études modernes ont développé une approche genrée du phénomène permettant une définition ou une redéfinition de la différence entre les sexes au début des temps modernes (1).
Notre propos est différent et notre questionnement porte sur les liens entre ce savoir anatomique nouveau, découvert par des examens post mortem au début des temps modernes et des interprétations de phénomènes physiologiques tels la grossesse et l’accouchement, résultant de croyances et de pratiques héritées de l’antiquité. Ou pour le dire autrement, quelles étaient les relations entre le livre savant et les « erreurs populaires » (Joubert) à propos du corps féminin, et comment, au moyen de quels mots se disait le corps féminin ? Une équipe regroupant des chercheurs français et étrangers s’est constituée autour de ce questionnement concernant les textes d’anatomistes et de chirurgiens des XVIe et XVIIe siècles, écrivant en latin et en vernaculaire.

Autopsie du projet Tota mulier in utero

Le titre du portail reprend un aphorisme traditionnellement attribué à Hippocrate, dans les études scientifiques comme dans les forums et autres lieux d’échanges et de communication. La tendance actuelle est d’interpréter la formule dans un sens genré et de le dénoncer comme une vision restrictive de la femme. Il ressort cependant de manière évidente que la citation empruntée à Hippocrate, dont les variantes nombreuses sont peu significatives d’un changement de sens , se situe dans un contexte de morbidité et non de genre (2). L’idée générale – et banale – est que les affections de l’utérus exercent une influence sur tout l’organisme de la femme. Un des traités pseudo-hippocratiques qui eut un grand succès à la Renaissance fut constitué de lettres échangées entre Démocrite et Hippocrate ; on y lit l’aphorisme suivant régulièrement cité dans les traités de maladies des femmes, dû à Démocrite écrivant à Hippocrate au sujet de la nature humaine (De natura humana) : [Vterus] sexcentarum aerumnarum mulieribus auctor (« L’utérus est responsable de 600 maladies chez la femme ») (3). Dans la traduction des Aphorismes d’Hippocrate par Leoniceno, éditée par Ioannis Manelphi à Venise en 1654, on lit dans la section V, aphorisme 58 : Non fluentibus [menstruis] autem ex utero morbi contingunt (« Mais lorsque les menstrues ne s’écoulent pas, des maladies ont pour cause l’utérus ») (Hippocratis Aphorismi … Ioannis Manelphi accessere prognostica itemque aphorismi selecti ad singulos morbos, Venetiis, apud Turrinum 1654).

Le médecin alchimiste Jean-Baptiste Van Helmont (1579-1644) reprit la formule dans le chapitre « Ignota actio regiminis » de son ouvrage Ortus medicinae, publié à titre posthume en 1648, dans un contexte de morbidité certes, mais en y adjoignant certains caractères physiques et moraux : Propter solum uterum mulier est id, quod est : barba caret, et licet humidiore habitu, celerius tamen pubescit (« À cause de son utérus seul, la femme est ce qu’elle est : elle n’a pas de barbe, et bien que d’un tempérament plus humide, elle devient pubère plus rapidement ») (Van Helmont J.B., Ortus medicinæ… Amsterodami, apud Ludovicum Elzevirium, 1648, p. 340).

Le portail comportera deux volets associés : une étude lexicale des mots désignant l’anatomie féminine et une anthologie de textes anatomiques.

Genitalia – Étude lexicale de l’anatomie féminine (V. Giacomotto-Charra et J. Vons)
Au cours de l’enquête, il est apparu très vite que le lexique anatomique était à la fois spécialisé et commun ; contrairement aux idées préconçues, les différents discours, savants ou poétiques, n’étaient pas étanches les uns aux autres à la Renaissance et le savoir sur les femmes circulait aussi bien en latin qu’en vernaculaire, par le texte et par l’illustration. Notre étude doit donc d’abord identifier les res anatomicæ féminines par les mots puis vérifier si la diffusion de termes identiques correspond à la diffusion de connaissances identiques. On constate des variantes lexicales. Sont-elles persistantes ou pas ? Dans quel registre de textes les retrouve-t-on majoritairement ? Comment un terme s’impose ou se perd, influence voire modifie l’organisation des connaissances ? Pour cela, il faut étudier le terme dans son contexte et prendre en compte les sources utilisées.
Nous avons privilégié le recensement établi à partir d’un corpus de textes (voir volet Perfecta) sous la forme de base de données à côté d’articles plus synthétiques dans des publications électroniques particulièrement adaptées aux liens intertextuels qui seront établis entre les livres numérisés et l’étude lexicale et iconographique de ce qui constitue dans les textes anciens la « nature » de la femme ou ses parties secrètes.

Principes méthodologiques
Une tendance spontanée consiste à partir de ce que nous connaissons afin de retrouver –ou pas- l’organe voire le nom dans les textes anciens. Cette méthode est vouée nécessairement à l’échec et induit une vision critique dévalorisant le passé par rapport à nos connaissances actuelles, donc une conception linéaire des progrès accomplis.
Dire que les anatomistes du XVIe siècle ne distinguaient pas le vagin de l’utérus n’est pas productif de savoirs. Des conceptions physiologiques liées à la rétention de la semence masculine par l’organe féminin pouvaient justifier l’interprétation d’un organe unique, muni de bouches attirant la dite semence, ce qui se vérifie sur des planches anatomiques. La position de l’anatomiste par rapport au corps étendu et sa vision de haut pouvaient faire croire à la présence d’un organe continu.
Nous devrons aussi tenir compte de l’étymologie et vérifier la naissance d’un mot, et son adaptation à la réalité. Par exemple le nom de vagin (de vagina « gaine »), en dépit des revendications féministes à considérer cet organe comme intrinsèque au corps féminin (ce qu’il est), continue à désigner cette partie du sexe féminin par rapport à l’intromission de la verge. Les traductions d’une langue à l’autre montrent un certain flottement quant à l’identification des structures, ainsi Jacques Grévin utilise une seule expression pour traduire deux dénominations latines : les « chairs cuirasseuses » de Grévin traduisent les coriaceæ carnes décrites par Vésale dans le De humani corporis fabrica (éd. 1543, p. 535) et les colliculæ alæ de l’Epitome ). Encore faut-il s’assurer par l’image ou par la description anatomique d’identifier exactement ce qui est nommé avant de vérifier la pertinence de l’une et l’autre traduction. À terme, l’étude lexicale permettra de vérifier ou d’infirmer la spécificité d’organes servant stricto sensu à la génération, donc fonctionnels, par rapport à ceux relevant plus généralement d’une anatomie purement descriptive, sexuelle.

Le projet Tota Mulier in utero a noué un partenariat avec le projet Perfecta
Anthologie de textes anatomiques des XVIe-XVIIe siècles  (Hélène Cazes)

Les textes scientifiques et leurs termes s’affichent comme un discours purement informatif. Ils n’en charrient pas moins les interrogations et représentations d’une culture. Car le discours et le regard anatomiques s’inscrivent dans les sujets de leur temps, qu’ils questionnent, construisent et transforment. L’investigation du corps féminin, l’identification et la nomination de ses parties, la compréhension de son fonctionnement et de sa cohérence se lisent dans le paysage de leur production et réception : les questions, essentielles, sur la différence des sexes, le rôle de chacun de ces sexes dans la génération et, généralement, ce qu’est la « nature féminine ». Or, pour cette dernière expression, le terme nature (natura) désigne à la fois l’appareil génital, la complexion humorale, le caractère et le statut social. En termes modernes, il désignerait tout autant le sexe que le genre. L’imposition de noms scientifiques ne saurait échapper aux connotations, traditions et constructions imaginaires qui entourent ses objets, le champ culturel constituant le terreau du discours, jusque dans l’anatomie.
L’un des enjeux du projet Tota Mulier in Utero, la partition du sexe et du genre, se situera ainsi non pas dans la délimitation d’objets catégorisés depuis la fin du XXe siècle parmi les textes scientifiques du XVIe siècle mais dans l’exploration de l’établissement, au sein de traités anatomiques, de premières distinctions : toujours dans le cadre du finalisme aristotélicien et de la théorie des humeurs, l’observation des « parties » de la femme suscite un questionnement sur ce que révèle ou entraîne l’anatomie. Ainsi, les lexiques de la honte, de la pudeur, de l’érotisme, de la duplicité ou du péché accompagnent la nomination, quand ils n’en fournissent pas la matière même.
Partenaire du projet lexical des « mots de l’anatomie féminine », le projet Perfecta. La Perfection du corps féminin, entre discours anatomiques et défense des femmes, 16-18e (CRSH, University of Victoria) a réuni textes et images de l’anatomie féminine et explore parmi les nouveaux savoirs sur le corps féminin de la première modernité la dimension du « genre » et ses enjeux épistémologiques.
Site (en construction) : https://hcmc.uvic.ca/project/perfecta

(1) Laqueur T. W., Making sex : Body and gender from the Greeks to Freud, Harvard University Press, Havard, 1990 ; Park K., Secrets of women : gender, generation and the origins of human dissection, New York, 2006 ; Zuccolin G., « Questioni di genere tra medicina e filosofia nel medioevo. Tendenze storiografiche recenti », Revue des sciences philosophiques et théologiques, t. 101, 4, 2017, p. 585-610.

(2) Aucun des traités hippocratiques consultés, De la génération, De la nature de l’enfant, De la nature de la femme, Des maladies des femmes, ne contient les termes exacts ni en grec ni, à notre connaissance, dans les traductions latines qui ont été faites de ces traités.

(3) Six cents est un chiffre indéterminé, équivalant à plus de mille en français… Le texte bilingue de laLettre de Démocrite à Hippocrate sur la nature de l’homme (lettre 23) : Ἡ δὲ γειτνιῶσα ταύτῃ μήτηρ βρεφέων, ἡ δεινὸν ἄλγος, τῶν ἐν γυναικὶ μόχθων μυρίων παραιτίη, μήτρη πεφώλευκεν·/« Dans le voisinage, est cachée la mère des enfants, la source de vives douleurs, la cause de mille maux, la matrice », in Hippocrate, Œuvres, tome IX, édité par Littré, Paris, Baillière 1841 (site http://remacle.org/ )

Projet de constitution d’un lexique des termes
désignant le corps dans la médecine française (XVIe– XVIIIe siècle)

Le projet s’inscrit dans la continuité du programme « Formes du savoir, 1400-1750 » (2010-2015) dirigé pendant cinq ans par V. Giacomotto-Charra à la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine et qui avait déjà associé plusieurs spécialistes de l’histoire de la médecine. Les colloques et journées d’étude de ce programme ont clairement mis en valeur la nécessité de relier l’étude d’états de la science à un moment donné à la forme même dans laquelle ces états sont exprimés et diffusés. On peut observer de manière générale l’évolution du support (manuscrit ou imprimé), de la langue (passage du latin au vernaculaire) dans la diffusion des sciences au XVIe siècle. Mais comment se fait le choix d’un terme dans la langue vulgaire, sur la base de quel niveau de langue ou registre, avec quelles variantes (y compris d’origines dialectales) ? Comment se construit un lexique de spécialité, qui hérite de formes existantes et en crée de nouvelles ? Comment se diffusent les mots d’un texte à l’autre et comment se mêlent-ils éventuellement pour produire un lexique unique ? Que signifient la persistance de variantes ? Comment s’organise la circulation des savoirs à l’intérieur même d’une discipline, d’un savant à l’autre, comment un terme s’impose ou se perd, influence voire modifie l’organisation de ces savoirs… autant de questions restées en suspens jusqu’à présent, mais auxquelles le projet actuel tenterait de répondre. Il s’agit ici d’étudier précisément l’hybridité à l’œuvre lors de la constitution d’une langue nationale de spécialité.

Nous avons choisi d’aborder la question en centrant les recherches sur la nomenclature anatomique dans ses variations et ses transformations à partir du lexique latin utilisé à la Renaissance, avec une attention particulière portée au lexique du corps féminin, encore très peu étudié.

Pourquoi commencer l’étude du vocabulaire anatomique par celui de la femme ? Ce n’est pas une question de mode, mais un choix dicté par la présentation même du sujet dans les traités d’anatomie du début des temps modernes. Deux types de description anatomique se présentent, soit selon de l’ordre de la dissection (par ventres) soit par éléments constitutifs du corps (os, muscles), la présentation a capite ad calcem, héritée de Pline n’étant plus guère (ou plus du tout ?) en usage.
Quelle que soit la présentation, les descriptions anatomiques concernent l’homme (homo) au sens général d’être humain, en principe asexué, bien que les figures et représentations iconographiques soient plus souvent masculines que féminines. La part relative au genre est donc laissée à la description des organes spécifiques à l’homme et à la femme. Ce qui ne veut pas dire nécessairement reconnaissance d’une différenciation, les organes génitaux féminins étant souvent décrits sur le modèle inversé des organes masculins.
Par ailleurs, si les déplacements intempestifs de l’utérus dans le corps féminin sont devenus symboliques au XVIe siècle, il reste que le lexique des pathologies et douleurs de cet organe est encore celui qu’utilisaient Pline l’Ancien et les auteurs médiévaux. L’apport de la terminologie arabe doit être précisé. De plus, l’utérus entretient d’étranges relations avec d’autres organes féminins, les seins, voire l’oreille, dans l’opinion. La naissance de Gargantua (par l’oreille de Gargamelle…) est-elle une pure fiction ou appuyée sur des croyances populaires, sur des observations pseudo-médicales ? Quel impact sur le public cultivé avaient les gravures de femmes enceintes jusqu’aux yeux (au sens propre) d’où s’échappe une foule de petits lapins ? Les recommandations faites par les médecins aux femmes enceintes sont de l’ordre de l’hygiène, des régimes, mais touchent également l’anatomie. Ne croyait-on pas (et encore aujourd’hui) que les os du bassin s’écartent au moment de l’accouchement ? D’où l’attention portée aux rares dissections de femmes enceintes. Enfin, des pratiques de mutilation d’organes féminins (cette fois externes) sont attestées dans des traités médicaux (Vésale).
Dès lors, l’étude de l’anatomie féminine, loin d’être restrictive, va nous servir de pierre de touche pour évaluer des théories physiologiques, elle participe à une histoire sociale du corps féminin.

Le corpus de textes, dont on trouvera quelques exemples ci-dessous est présentement circonscrit entre deux limites temporelles : 1543 et 1629, de l’origine latine de la nomenclature anatomique avec André Vésale à son emploi quasi banalisé dans la traduction par P. Constant des ouvrages anatomiques de Jean Riolan, et est limité aux seuls ouvrages d’anatomie. Le projet montrera la pertinence ou pas d’élargir le recueil de textes aux traductions faites à partir du grec ou aux actualisations des traités de chirurgie médiévaux.

L’équipe devra également décider de la forme à donner au résultat de la collation pour qu’elle soit le plus utile possible et évolutive. Un dictionnaire alphabétique : latin – français, selon le procédé qui sera développé à partir des grands dictionnaires scientifiques des XVIIe et XVIIIe siècles ne paraît pas satisfaisant pour la discipline qui nous concerne, encore trop ancrée dans des définitions par images et langage métaphorique, par gloses et remarques étymologiques, selon l’ordre de la dissection ou selon un procédé de reconstruction du corps. Ce classement par région (membre supérieur) ou par constituant (os, muscles) permettra une plus grande souplesse dans le maniement des énoncés descriptifs, sur le modèle par exemple de l’ouvrage de Larry W. Swanson, Neuroanatomical terminology. A lexicon of Classical origine and Historical Foudations, Oxford, 2015.

Une base de données à interrogation multiple paraît en conséquence le plus adaptée pour la collation, le traitement et la diffusion des informations collectées. Elle comportera une liste de termes anatomiques latins et d’éventuels synonymes, leur(s) équivalents français utilisés par les médecins de la Renaissance. Les articles seront nourris de commentaires et donneront accès à des citations présentant les mots dans leur contexte.

Corpus recensé à ce jour (1543-1629) – ouvrages numérisés sur le site de la BIU Santé :
– Vésale, André, De humani corporis fabrica, Basileae, Oporinus, 1543 (transcrit et indexé).
…, Epitome de suorum librorum de humani corporis fabrica, Basileae, Oporinus, 1543.

– Cabrol Bertelemy, Alphabet anatomic auquel est contenue l’explication exacte des parties du corps humain réduites en table selon l’ordre de dissection ordinaire, Tournon, Claude Michel et Guillaume Linocier, 1594.

– Canappe, Jean , Tables anatomiques du corps humain universel : soit de l’Homme, ou de la Femme. Premièrement composées en Latin, par maistre Loys Vassee : Et depuis traduites par Jean Canappe, Lyon, Jean de Tournes, 1547.

– Dulaurens André, L’Histoire anatomique en laquelle toutes les parties du corps hulain sont amplement declarees enrichie de controverses et observations nouvelles, Paris, Jean Bertault, 1610.

– Estienne, Charles, La dissection des parties du corps humain divisee en trois livres, Paris, Simon de Colines, 1546.

– Grévin, Jacques, Les portraits anatomiques de toutes les parties du corps humain, Paris, André Wechel, 1569.

– Guillemeau, Jacques, Histoire de tous les muscles du corps, Paris, Nicolas Buon, 1612.

– Hémard, Urbain, Recherche de la vraye anathomie des dents, Lyon, Benoist Rigaud, 1582.

– Paré, Amboise, Briefve collection de l’administration anatomique, Paris, G. Cavellat, 1549.

…, Anatomie universelle du corps humain, Paris, Jehan Le Royer, 1561.

– Riolan, Jean, Œuvres anatomiques, Paris, Denys Moreau, 1628-1629.

Un cas de grossesse abdominale

La première année d’activité de l’atelier néo-latin a permis à Anne Bouscharain de traduire un texte important pour l’histoire de l’obstétrique, un cas très rare, mais documenté, de deux grossesses abdominales successives, auxquelles la « parturiente », déjà mère de huit enfants, a survécu…

L’anatomie du sexe féminin dans le De humani corporis fabrica (1543) d’André Vésale

Traduction du Livre V, chapitre 15, pages 529 à 539
par Jacqueline Vons 

 

PDF de la traduction annotée téléchargeable ici

 

 

Une traduction abondamment annotée et commentée de ce chapitre figurera dans l’ensemble de la traduction du livre V sur le site La Fabrique de Vésale et autres textes. Éditions, transcriptions, traductions sous la direction de Jacqueline Vons et Stéphane Velut, BIU Santé, Bibliothèques de Paris. Seules figurent ici les explications indispensables à la compréhension du texte et des rapports que l’anatomiste établit entre les organes.
Les parenthèses dans le texte sont le fait de Vésale, les identifications modernes figurent entre crochets droits.
Pour simplifier la lecture, nous n’avons retenu ici que la nomenclature moderne quand les structures désignées ne prêtent à aucune équivoque. Le sens et l’évolution de certains termes anatomiques seront précisés dans le volet lexical. Le texte latin de référence peut être consulté sur le site de la Bibliothèque interuniversitaire de santé de Paris.

Nous donnons ci-après un rapide rappel lexical des notions anatomiques vues dans le chapitre.

Vteri fundus
Littéralement la base, le fondement de l’utérus. Le terme désigne au XVIe siècle l’ensemble du corps de l’utérus. Nous le traduisons par « corps de l’utérus » pour éviter la confusion avec le sens actuel.
Vteri collum ou uteri ceruix
Il s’agit du vagin et non pas du « col de l’utérus » au sens anatomique moderne. Nous avons traduit systématiquement ici par vagin, le terme de vagina (gaine) étant attesté chez Colombo.
Vteri ostium ou fundi uteri orificium
Désigne l’orifice du corps de l’utérus pour les Anciens, distinct de l’orifice inférieur du vagin.
Vteri collum orificium ou pudendi orificium
Désigne l’orifice inférieur du vagin.
Pudendum
Désigne l’ensemble des organes sexuels féminins externes. Nous traduisons par vulve plutôt que par « organes honteux ».
Testes
Désigne les ovaires par analogie avec les testicules masculins. Néanmoins la traduction par ovaire serait un anachronisme dans un texte du XVIe siècle tant que la fonction de l’organe- qui lui a donné son nom- est resté ignorée. Nous traduisons littéralement par « testicules féminins ».
Pour citer : Jacqueline Vons, « L’anatomie du sexe féminin dans le De humani corporis fabrica (1543) d’André Vésale. Traduction annotée du Livre V, chapitre 15, pages 529 à 539, dans Tota Mulier in utero.

L’utérus et les autres organes féminins servant à la génération

Chapitre 15, Livre V

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La vingt-quatrième et la vingt-cinquième figures, ainsi que les deux suivantes, montrent ces organes dans l’ordre, comme leurs index l’ont détaillé.

L’utérus comprend deux parties :
un fondement (corps)
et un col (vagin)

Avant tout (ceci pour éviter d’être submergés dès le début par la masse d’opinions différentes émises par d’autres professeurs d’anatomie), nous divisons l’utérus en un « corps » (fundus) et un « col » (c’est-à-dire « vagin », cervix), comme la vessie : même si ces deux parties constituant l’utérus ne forment qu’un seul corps, elles diffèrent cependant considérablement par l’emplacement, la forme, les dimensions, la structure, la substance, par l’insertion, l’origine et l’implantation des vaisseaux, par les ligaments et autres traits de ce genre qui doivent tous être examinés avec soin dans la description de l’utérus.

L’emplacement de l’utérus
et des parties
qui en sont voisines

Donc le vagin monte verticalement depuis la vulve (pudendum) de la femme, sous les os du pubis, et longe pendant un certain temps l’intestin droit (rectum) dans la cavité du péritoine, jusqu’à ce qu’il atteigne l’endroit situé un peu plus bas que celui où les muscles droits de l’abdomen prennent leur origine des os du pubis. À cet endroit en effet le vagin devient le corps de l’utérus ou bien le corps de l’utérus devient ce vagin, qui monte très rarement plus haut ; aussi cette partie est-elle considérée comme la partie inférieure du corps de l’utérus ; d’autre part sa partie supérieure ainsi que ses côtés varient en fonction de sa taille. Plus l’utérus est élargi et distendu, plus sa partie supérieure s’étend vers la région de l’ombilic, et plus il s’approche des flancs. Cela signifie que je ne pourrais pas lui assigner une superficie précise, sauf en disant qu’à l’avant du péritoine il monte généralement plus haut que les os du pubis. Cependant chez une femme qui n’est pas enceinte, le corps de l’utérus ne dépasse jamais le début du sacrum articulé avec la dernière vertèbre lombale, et ni le corps ni le vagin ne touchent d’organe à l’arrière, excepté le rectum qu’ils n’excèdent guère en largeur. Toutefois le sommet du corps ne s’étend pas aussi haut que la région du rectum reliée aux circonvolutions du colon.

La vessie s’étend en avant de la partie antérieure de l’utérus ; chez les femmes non enceintes, elle couvre tout le corps de l’utérus car elle monte plus haut. Je n’ai en effet jamais observé chez une femme non enceinte que le corps de l’utérus monte aussi haut que la vessie, même si cette dernière est complètement vide, sauf peut-être quand je prenais l’utérus en main et que j’étirais le vagin en le poussant vers le haut : en effet, selon que

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vous laissiez ce vagin dans son état relâché ou que vous l’allongiez en tirant l’utérus vers le haut, vous modifierez considérablement l’emplacement de ce dernier. Mais si vous examinez son emplacement après avoir ouvert le péritoine au cours de la dissection, et avant de le manipuler vers le bas ou vers le haut, vous verrez qu’il est situé beaucoup plus bas que le sommet de la vessie, et qu’ainsi positionné, il n’est jamais connecté avec le début du sacrum ; et comme je le dirai bientôt, il est libre de se mouvoir et peut être ainsi facilement manipulé vers le haut ou le bas. Cela est très facile à observer chez des femmes encore vivantes, du moins si vous avez essayé de regarder l’orifice (ostium uteri) du corps de l’utérus. En effet il arrive fréquemment que chez certaines femmes, principalement chez des femmes âgées, cet orifice soit descendu pour une raison ou pour une autre vers l’orifice du vagin ; parfois, il est tombé si bas qu’il n’échappe pas à la vue et qu’il se trouve même dans l’orifice du vagin. Mais chez d’autres femmes il est si profondément dissimulé qu’il ne peut être vu, parce que l’utérus est maintenu par ses propres membranes, qui ne sont pas lâches et qui l’empêchent donc de descendre, à la différence des multipares ou de celles dont les ligaments de l’utérus sont relâchés. Mais je dirai plus tard de quelle nature sont ces ligaments utérins, maintenant il reste à terminer l’exposé sur l’emplacement de l’utérus.

Donc, l’avant de l’utérus est couvert par la vessie, comme je l’ai dit ; mais ici, tant que l’omentum n’a pas été replié vers le haut en direction de la rate et qu’il recouvre encore tous les intestins , la partie inférieure de l’omentum s’interpose entre ces deux organes. En effet le volume et la longueur de l’omentum sont tels qu’il peut facilement se glisser entre l’utérus et la vessie et comprimer ainsi l’orifice de l’utérus ce qui empêcherait la conception (comme Hippocrate l’a dit à propos des femmes obèses). La base de la vessie repose aussi sur l’avant du vagin, à l’endroit où ce dernier est en contact avec le corps de l’utérus, mais sur le reste de sa surface seul le col de la vessie (qui est très court) s’étend jusqu’à la vulve. Parce que le vagin est beaucoup plus long et plus large que le col de la vessie, toute la partie du vagin qui n’est pas recouverte par la vessie et par son col est en contact avec la région du péritoine qui recouvre la partie interne des os du pubis. En outre les côtés du vagin et du corps de l’utérus sont en regard des vaisseaux qui vont à l’utérus et des membranes qui l’attachent aux parties adjacentes. Tel est l’utérus chez les femmes qui ne sont pas enceintes. Mais pendant la grossesse, l’utérus s’étend sur les intestins grêles sous l’omentum et la partie antérieure du péritoine ; quand le moment de l’accouchement est proche et que l’utérus devient très volumineux, il remplit toute la région des hanches. Il en résulte que la partie inférieure du corps utérin, à l’endroit où il devient le vagin, est située plus haut chez les femmes enceintes que chez celles qui ne le sont pas : leur vagin s’allonge puisqu’il est étiré vers le haut et il devient plus étroit que chez les femmes qui ne sont pas enceintes . De fait, l’utérus gravide n’occupe généralement pas exactement le milieu entre la droite et la gauche, mais sa partie supérieure pointe, toutefois faiblement, tantôt plus à droite tantôt plus à gauche. Beaucoup de gens expliquent ainsi le sexe de l’enfant, mais ce n’est pas une constance. En effet je sais par expérience que des femmes ayant eu la partie droite de l’abdomen plus proéminente et plus pesante ont donné naissance à des filles, tandis que celles dont l’utérus était proéminent à gauche, pouvaient engendrer également des garçons. D’autre part, chez une chienne, une chèvre ou une vache, l’utérus est très différent de celui d’une femme par son emplacement et sa forme. En effet chez ces animaux le vagin s’étend jusqu’au sommet de la vessie, et tout le corps de l’utérus monte plus haut que le sacrum même quand ces animaux ne sont pas en gestation.

La forme
de l’utérus

Nous comparons généralement la forme de l’utérus de la femme avec celle de la vessie, surtout chez les femmes enceintes chez qui la ressemblance est complète : en effet chez celles-ci le corps de l’utérus, comme celui de la vessie, est ample et très grand, et le vagin est étroit, si vous le comparez à l’ampleur du corps. Mais chez les femmes qui ne sont pas enceintes, la largeur du corps dépasse à peine celle du vagin ; et si vous essayez de dilater ce vagin, vous verrez, même sans effort de votre part, qu’il peut devenir beaucoup plus large que le corps, car la substance du corps de l’utérus résiste quand on essaie de la dilater. Il s’ensuit que la comparaison de l’utérus avec la vessie n’est pas exacte. Ensuite, pour ce qui est de la largeur, la vessie est parfaitement sphérique, alors que le corps de l’utérus chez les femmes non enceintes est aplati à l’avant et à l’arrière, ce qui le rend plus large ou plus épais. La partie supérieure de la vessie n’est pas parfaitement sphérique : là où débouche le méat urinaire transmettant l’urine du fœtus à travers l’ombilic, elle forme pour ainsi dire une éminence pointue. Au contraire, l’utérus lui-même a une forme obtuse dans cette partie qui ressemble à un quart de cercle ou à la nouvelle lune, tout à fait comme si la partie supérieure du corps formait de chaque côté un angle obtus, comme les Arabes l’ont laissé entendre lorsqu’ils ont dit que la forme de l’utérus est carrée. Depuis les côtés de sa partie supérieure, le corps de l’utérus s’amincit progressivement à mesure qu’il se rapproche du début du vagin, mais de telle sorte que l’utérus entier n’est pas beaucoup plus long que large, tandis que le vagin est oblong et circulaire comme un long canal.

De quelle nature
est la surface de l’utérus

Sauf sur les côtés où s’implantent les vaisseaux et les membranes, le corps de l’utérus a partout une surface externe lisse et uniforme, comme si elle avait été lavée avec un linge humide, et elle est rougeâtre. La surface externe du vagin est lisse et humide à l’arrière sur un peu plus de la moitié de sa longueur à partir du corps de l’utérus et aussi à l’avant sur la partie adjacente au corps utérin ; elle a une couleur beaucoup plus claire que la surface externe du corps de l’utérus. Sur le reste de cette surface, le vagin est rugueux à cause des autres parties qui y sont attachées, comme sont rugueuses toutes les surfaces qui s’attachent l’une à l’autre.

La cavité
du corps de l’utérus

La surface interne du corps de l’utérus chez des femmes non enceintes est également lisse et uniforme, ressemblant à celle des vessies vides.

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La cavité vésicale a beaucoup de grands plis profonds, la cavité utérine a aussi des plis certes plus nombreux mais moins profonds et qui échappent en quelque sorte à la vue à cause de la continuité et de la compression, donnant l’impression que la surface est parfaitement lisse. En plus d’avoir une cavité comme la vessie, l’utérus humain, comme le scortum masculin, présente aussi une fine couture ou une éminence à peine saillante, formant comme une très fine ligne qui s’étend longitudinalement sur toute la surface à l’avant et à l’arrière, et qui devrait être considérée comme un petit interstice ou une ligne de démarcation entre le côté droit et le côté gauche. Cette cavité du corps de l’utérus est celle qui reçoit la semence génitale et qui contient le fœtus. Non seulement le peuple ignorant, mais aussi la lie des anatomistes considère que l’utérus n’a pas une cavité unique mais sept, en comptant sept cellules de la matrice : ils en comptent trois dans la partie droite de l’utérus, destinées à recevoir les fœtus masculins, trois dédiées aux fœtus féminins à gauche, ils placent la septième cellule au centre en la réservant aux hermaphrodites. Je me souviens que dans mon jeune âge lorsque j’apprenais les premiers rudiments de la dialectique, j’avais lu cela dans le livre particulièrement indocte d’Albert le Grand sur les Secrets des hommes et des femmes et dans l’ouvrage d’un certain Michel Scot, qui se révélait aussi ignorant de la dissection que barbare sur son sujet, la physiognomonie : des cellules de ce genre sont même décrites par des juriconsultes, comme je l’ai appris de différentes sources, mais surtout de mon ami Guillaume Martin Stella, un homme d’une très grande culture littéraire, expert dans les deux genres de droit, admirablement savant dans toutes les disciplines mais surtout dans les œuvres de la Nature, quand nous discutions longuement au sujet de la formation du fœtus et du meilleur moment où il peut être regardé comme achevé, et au sujet de l’opinion du divin Hippocrate assurant que le fœtus est achevé au terme de sept mois. En plus de Nicolas Gentilis et de beaucoup d’autres, il faut ajouter à cette cohorte Mondinus , le si bien nommé « compagnon » d’Albert le Grand, en vérité son « enfant » : parmi ses autres commentaires inexacts sur la formation de l’utérus, craignant de s’éloigner des décrets des théologiens scholastiques (qui disputent des parties génitales et de la semence plus fréquemment que les médecins, et qui sont nos spectateurs les plus nombreux lorsque nous montrons les organes de la génération dans nos écoles), Mondinus a déclaré que l’utérus est composé de sept cavités. Imaginer ces cavités n’était sans doute pas suffisant pour certains, il leur a fallu ajouter que chacune de ces cavités, ou trou, ou petite fosse, avait dix replis rugueux, de sorte qu’au total il y aurait soixante-dix replis. Et nombreux sont ceux qui prétendent qu’en conséquence un grand nombre de fœtus peuvent être conçus en même temps : mais par Jupiter ces gens n’ont aucune expérience de la dissection d’utérus humains, et encore moins d’animaux qui portent souvent plusieurs fœtus en même temps dans l’utérus.

En fait, il n’y a qu’une seule cavité dans le corps de l’utérus, elle est plus large et plus haute que profonde, ayant la même forme que le corps de l’utérus lui-même, comme nous l’avons dit. Cette cavité, ou sinus, est très étroite près du foramen, comme le foramen lui-même , dans la région de l’utérus située le plus bas, ensuite elle s’élargit vers le haut, en suivant la forme de l’utérus, et se termine en haut par deux angles situés au sommet des côtés de l’utérus, là où il forme pour ainsi dire deux angles obtus, comme nous l’avons enseigné. Le milieu de cette partie en haut de la cavité ne monte pas aussi haut que ses côtés ; la substance de l’utérus descend ici dans la cavité comme une sorte de septum. Chez les femmes qui ne sont pas enceintes, j’ai toujours trouvé la cavité en cet état, généralement recouverte d’un mucus visqueux et blanchâtre ; elle est lisse, comme je l’ai dit auparavant, et elle est divisée par une couture plus ou moins invisible, formant comme une ligne très légèrement en relief. Dans ces angles obtus, c’est-à-dire dans ces parties situées en haut, j’ai trouvé la substance plus plissée et très semblable à la cavité dans laquelle les vaisseaux transportant la semence [canaux déférents] s’insèrent chez l’homme. Chez les femmes qui ne souffrent pas du flux involontaire de semence que nous appelons « menstrues blanches », aucun canal ne peut être vu ici (pas plus que chez l’homme), à moins d’y introduire de force un stylet pointu depuis le canal transportant la semence le long de l’insertion de ce canal et de le dilater de manière non naturelle ; mais chez les vaches on peut facilement insérer un stylet depuis la cavité de l’utérus dans le vaisseau transportant la semence. En plus, chez les femmes non enceintes, je n’ai jamais observé dans cette cavité de veines et d’artères en relief ou saillantes comme les petites têtes desquelles le sang va exsuder des veines qui vont à l’anus dans les cas d’hémorroïdes. Jamais non plus je n’ai examiné dans la cavité d’un utérus non gravide de sinus comparables à ceux que nous voyons dans les tentacules de petites sèches, de poulpes ou d’autres animaux de ce genre : la nature de ces sinus ressemble à la forme de petits pois imprimés dans de la cire, comme on en voit dans les utérus des vaches et des chèvres de Galien, comme je le montrerai plus en détail dans le chapitre qui sera spécialement dédié aux acétabules de l’utérus. Je n’ai jamais vu non plus dans les utérus de femmes non enceintes de veine ou d’artère en relief se présenter à la vue en se terminant ainsi, pas plus que je n’en ai vu dans les cavités stomacales ou intestinales : en fait, la cavité du corps de l’utérus apparaît continuellement teinte d’une couleur entre le rouge et le blanc. Telle est la description de la surface interne ou cavité du corps de l’utérus, que j’ai traitée en conformité avec la forme de l’utérus.

La nature de la surface
interne du vagin

La surface interne du vagin est très variée : en effet quand le vagin est fermé et n’est pas dilaté, il est entièrement ridé et plissé, et aplati sur lui-même : mais s’il est complètement distendu, il peut apparaître absolument lisse et lubrifié sur toute sa longueur sauf à l’endroit où il se termine à la vulve (pudendum). Là, en plus de replis lâches, il présente de petites caroncules charnues (cuticulares carunculæ) ] et

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de petites éminences qui pendent de différentes manières au dehors, selon les femmes, et que les Grecs appellent numphe. En outre, dans sa partie antérieure, un peu au-dessus de la vulve, à l’endroit où le col de la vessie s’insère, la surface du vagin est irrégulière. En effet, de chaque côté de l’insertion du col de la vessie, une très petite portion du vagin forme une excroissance s’avançant dans sa cavité, absolument comparable à la forme des processus membraneux qui, comme nous l’avons dit, empêchent le reflux de l’urine dans les conduits urinaux depuis la vessie, et celui de la bile depuis le duodénum dans le canal qui la transporte. Ainsi, si le vagin recevait de l’urine, ces processus appendus empêcheraient l’urine ou toute autre substance de refluer dans le col de la vessie. En outre, l’intérieur du vagin ne se rétrécit pas sur son trajet, son diamètre est le même à l’endroit où il est continu avec le corps de l’utérus (à cet endroit il n’est pas plus large et ne peut plus se distendre) que dans sa terminaison à la vulve.

La nature de l’orifice
du corps de l’utérus

À la fin de la cavité du corps de l’utérus ou à son sommet , l’orifice du corps de l’utérus est proéminent, sans que son extrémité soit en contact avec les côtés du vagin, sans que la contraction ou la dilatation du vagin le fasse bouger. La substance de l’utérus qui s’avance depuis le bas du corps de l’utérus dans cette partie du vagin ressemble à la glande obtuse du pénis, dans laquelle se trouve une incisure transversale ou foramen : cette partie de l’utérus est généralement appelée « orifice de l’utérus » (ostium uteri) ou « orifice du corps de l’utérus », de la même manière que nous désignons le pudendum féminin comme l’orifice du vagin. De même que ce dernier, quand il n’est pas dilaté a son corps comme fermé par une incisure verticale, de même l’orifice de l’utérus se ferme par une ligne transversale, mais qui n’est pas toujours régulière. En effet, chez les femmes enceintes, cette ligne ressemble à une ride, si étroite qu’on ne peut y introduire une sonde, à moins de la pousser en forçant. Chez les femmes qui viennent d’accoucher cette incisure est plus grande, moins resserrée et moins ridée, chez celles qui ne sont pas enceintes elle est entre les deux états précédents. Je pense qu’il est clair, sans que j’aie à le dire, que chaque fois que l’orifice du corps de l’utérus se dilate et s’ouvre, il devient circulaire, comme l’orifice du vagin. Mais il n’est pas toujours ouvert lors du coït, il ne s’ouvre que dans deux cas : quand il désire la semence virile et qu’il l’attire à lui par un mouvement naturel de succion et quand il rejette la semence virile avec celle de la femme, ou bien seulement la semence féminine, en cas de pollution ou de friction, si l’utérus ne va pas concevoir. Et quand le vagin n’est pas dilaté, l’orifice de l’utérus reste toujours fermé, car il n’aurait pas fallu qu’il fût soumis à la volonté d’une femme insatiable, lascive et trop désireuse des plaisirs de l’amour, même après avoir conçu. Pour ne rien dire du tort que causerait à la propagation de l’espèce humaine le fait que des femmes ne garderaient pas contre leur volonté la « semence fécondée » et avec quelle licence, n’ayant plus la crainte de concevoir, elles tromperaient leur mari ou leur famille, si la Nature avait donné à l’orifice de l’utérus des muscles artisans du mouvement volontaire, de telle sorte que l’orifice de l’utérus pourrait être continuellement ouvert comme celui du vagin. La dissection du corps prouve aussi excellemment, parmi d’autres choses, combien stupides et faux étaient les propos de tous ceux qui ont écrit que le pénis est reçu par le corps de l’utérus pendant le coït et qu’il s’introduit dans la cavité utérine. Nous savons aussi que cet orifice complètement contracté et fermé tout le temps de la grossesse, peut à nouveau s’ouvrir pendant l’accouchement, se dilater et se relâcher suffisamment pour permettre la sortie du fœtus par cette voie, et nous sommes stupéfaits en entendant ces propos : mais nous n’admirons pas suffisamment ce miracle de la Nature et nous célébrons trop peu dans nos hymnes la prévoyance du grand artisan des choses.

Les cornes utérines

Les cornes semblent avoir un rapport avec la forme de l’utérus; Hérophile a comparé très justement ces cornes chez la femme aux cornes naissantes des bovins. En effet, de même que les cornes qui vont pousser forment une petite protubérance de chaque côté de la tête des veaux, de même la partie en haut de l’utérus que nous avons comparée à un quart de cercle, se termine pour ainsi dire par deux angles obtus symétriques, qui de fait étaient considérés comme des cornes par les anciens anatomistes disséquant des cadavres humains ; ces cornes reçoivent l’insertion des vaisseaux transportant la semence féminine . Et j’espère ici qu’aucun de ceux qui étudient l’œuvre de Galien (ce que nous tous qui nous sommes enrôlés sous la bannière de la médecine devrions faire avec zèle) ne s’opposera à moi sur la base de ses nombreux enseignements ni qu’il voudra rechercher d’autres parties de l’utérus qui, selon lui, ressembleraient davantage à des cornes, avant d’avoir soigneusement examiné les passages de Galien dans les livres sur l’Utilité des parties, La semence, La dissection de l’utérus, et avant d’avoir comparé l’utérus d’une vache à celui d’une femme, et enfin les écrits de Galien avec ces deux types d’utérus :

Galien n’a jamais
examiné d’utérus humain

il comprendra alors que Galien n’a jamais examiné d’utérus humain, même pas en songe, mais seulement des utérus de vaches, de chèvres et de brebis, et que lui-même s’est appuyé sur les enseignements d’autres anatomistes pour décrire l’utérus dans les livres sur l’Utilité des parties, avec plus de vérité (quoique superficiellement). Mais dans La dissection de l’utérus, il a attaché un col de cheval à une tête humaine, et en mélangeant la description de l’utérus de la vache avec les écrits d’autres professeurs d’anatomie, il a tissé une chimère à partir d’un utérus bovin et d’un utérus humain. Aussi, si quelqu’un intéressé par l’étude des œuvres de la Nature et désireux de voir les impostures des Grecs, veut examiner cela attentivement, il verra que les cornes de l’utérus de la vache ont l’apparence suivante : si l’on reliait au moyen d’une bande de tissu les deux cornes d’un bélier décrépit, la droite et la gauche, par leurs racines, on pourrait alors comparer les racines de ces cornes à un utérus de vache, à l’endroit où il est joint au vagin et les extrémités des cornes aux apex de l’utérus . Je poursuivrais cela avec plus de détails et plus d’explications mais n’importe peut aller sur un marché et examiner en détail un utérus de vache, son emplacement, sa forme, ses dimensions et autres détails qu’il faut soigneusement regarder dans la fabrique des parties du corps. Ou si se rendre dans un marché est trop pénible ou trop peu convenable, il est très facile d’ordonner d’apporter un utérus de vache , pour comprendre les opinions d’un si grand auteur ; et si par chance on obtient aussi un utérus de femme, on pourra observer avec quel art Galien a dépeint un utérus de vache et de chèvre, mais pas un utérus humain, et on pourra alors

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se demander pour quelle raison tant de controverses ont été suscitées parmi d’éminents auteurs, parce qu’ils n’avaient pas dit de quel animal provenait la partie qu’ils décrivaient, et qu’eux-mêmes avaient estimé que les parties du corps de l’homme ressemblaient aux parties des animaux dont ils disposaient habituellement pour leurs dissections. Si quelqu’un a examiné tout cela attentivement, il jugera facilement combien fréquemment mon exposé, déjà suffisamment prolixe, devrait être interrompu si chaque fois je devais ajouter les passages où je m’écarte volontairement et sciemment des décrets de Galien, ou si je devais donner la raison de mes écarts, avec de longues explications à ce sujet.

Donc qu’il soit admis que les cornes de l’utérus de la femme soient les angles obtus déjà mentionnés auparavant, et que les cornes de l’utérus de la chèvre, de la vache et de la brebis ressemblent en tout point aux cornes d’un bélier, pas seulement leurs extrémités, mais tout le corps de leur utérus, qui lui-même est composé de deux parties jointes ensemble sur une longue distance, comme je le dirai plus tard. De fait, à un autre endroit, Galien a appelé l’ensemble de ces parties des « cornes » quand il enseigne (d’après les opinions d’anciens auteurs), que le fœtus est contenu dans des cornes, ce qui n’est pas complètement dénué de sens pour ces animaux, mais qui s’applique beaucoup mieux à des chiennes et à des truies dont l’utérus se sépare en deux dès l’orifice utérin : comme si vous écartiez le plus possible l’index du médius et que vous imaginiez que ces deux doigts sont les deux parties de l’utérus plus ou moins rectilignes chez les femelles non enceintes et se terminant progressivement en un apex ou extrémité pointue, comme si elles étaient des cornes droites et non recourbées, alors que dans l’utérus de femelles en gestation elles ressemblent à des cornes de bélier et sont recourbées comme elles.

Les dimensions
de l’utérus chez la femme

Pour ne pas trop allonger mon exposé, laissons de côté les utérus de ces animaux et abordons maintenant les dimensions de l’utérus chez la femme ; nous en avons donné quelques aperçus précédemment dans notre description de l’emplacement de l’utérus, mais en fait on ne peut pas plus décrire les dimensions du corps de l’utérus que celles de l’estomac, dans la mesure où il se dilate et se contracte en fonction de la taille du fœtus ou de la quantité de semence qu’il contient. On peut dire la même chose du vagin qui la plupart du temps est contracté en rides et en replis, mais qui se dilate tantôt dans le coït (bien que ce ne soit pas toujours avec la même rapidité) selon la taille du pénis, tantôt dans l’accouchement selon la taille du fœtus. La longueur du vagin varie tout autant que sa largeur. En effet lorsque nous soulevons un utérus au cours d’une dissection , le vagin s’étend sur une longueur étonnante, au point qu’il serait tout aussi peu sensé de décrire la largeur et la longueur du vagin que celles du pénis, bien que ce dernier varie beaucoup moins en dimensions que le vagin. De plus, en fonction du désir féminin, le vagin enfle, devient plus étroit et plus vertical (à part les cas où il est trop contracté naturellement chez certaines femmes). Je ne m’étonne donc pas que tous ceux qui ont entrepris de décrire sa longueur en termes de nombre de doigts évaluent différemment la distance de la vulve à la cavité utérine : l’un compte onze doigts, l’autre douze, un autre plus, un autre encore moins. Et, comble du ridicule, ils ont établi que la longueur du vagin et celle du corps de l’utérus sont identiques chez les femmes non enceintes.

En outre l’utérus est appendu au péritoine et lui est attaché de telle sorte que son corps puisse plus ou moins s’élever ou s’abaisser dans le coït et s’ouvrir en direction du sommet du pénis comme un animal, comme Platon l’a dit. Parfois cependant, chez les femmes âgées et chez celles qui ont assez souvent accouché ou qui ont été traitées avec trop de rudesse par les sages-femmes lors de l’expulsion de l’arrière-faix [placenta], l’orifice du corps pend quasiment dans la vulve , et chez ces femmes le vagin apparaît très court et très resserré sur lui-même, mais lorsque l’orifice est poussé vers le haut au cours de la dissection ou repoussé à l’intérieur chez les femmes vivantes, le vagin peut beaucoup s’étirer. D’autres anatomistes ont rapporté le fait que le corps de l’utérus est plus petit chez les petites filles que chez les femmes qui ont eu une longue activité sexuelle ou qui ont accouché : mais chez toutes ces femmes, le corps de l’utérus est variable, au même titre que les testicules [ovaires], aussi suis-je incapable de décrire leurs dimensions individuellement, pas plus que celles de la vessie. Cependant la vingt-septième figure de ce livre montre une dimension d’utérus qui se voit fréquemment chez les femmes non enceintes et en particulier lors d’une dissection que j’ai faite à Padoue cette année. En fait ce corps est beaucoup plus petit que ce qu’un ignorant en anatomie pourrait facilement penser. Quant au fait que le corps de l’utérus puisse changer de dimension à l’occasion de la purgation menstruelle, je le sais assurément d’après mes lectures quand les professeurs d’anatomie enseignent que l’utérus gonflé de sang et prêt à se purger par le flux menstruel est plus grand que celui qui vient d’excréter tout le sang qui s’est peu à peu accumulé dans l’intervalle d’un mois, d’après ce que nous croyons. Mais je n’ai jamais rencontré de différence sur ce point dans l’utérus, et j’ajouterai quelques mots en lieu opportun, à la fin de ce chapitre, au sujet de l’accumulation et de la purgation de ce sang menstruel.

La substance du corps de l’utérus

En ce qui concerne la substance du corps de l’utérus, les désaccords entre les professeurs d’anatomie sont aussi grands que dans leurs descriptions de ses dimensions, surtout en ce qui concerne le nombre des tuniques, l’origine et l’entrelacement des veines, artères et nerfs de l’utérus. Pour moi (pour cesser de décrire plus longtemps leurs opinions fausses et dues à leur imagination), la substance du corps de l’utérus chez les femmes non enceintes apparaît nerveuse ou membraneuse, mais très épaisse, dense, pas très dure ni aussi blanche que les autres substances que l’on dit généralement nerveuses, mais se présentant comme assez charnue. Je pense que personne ne met en doute le fait que j’appelle ici « substance nerveuse » non pas la substance du cerveau ou de la moelle spinale entrelacée de nombreux nerfs, mais bien le matériau dont la substance (mais pas la fonction) ressemble à celle des ligaments, des tendons et des nerfs proprement dits. Cette substance de l’utérus est partout de la même dureté, sauf peut-être près du foramen du corps [orifice du col utérin] où elle apparaît plus dure et plus compacte. Sur la surface externe de cette substance, quand l’utérus est encore entier, on voit à peine les veines, fines mais très nombreuses, qui courent sur toute la peau, passant entre la tunique interne et la tunique externe de l’utérus.

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Les tuniques de l’utérus

 

De fait, l’utérus a deux tuniques : une tunique externe qui provient du péritoine, comme celle de la vessie et des autres viscères qu’il recouvre, très solide et épaisse. Elle est originaire des membranes qui contiennent les vaisseaux allant à l’utérus, et qui joignent l’utérus au péritoine. En effet, à l’endroit où sont attachés au péritoine les vaisseaux provenant de la très grande séparation des vaisseaux faite au-dessus du sacrum, des parties, ou processus, provenant du péritoine lui-même se dirigent vers les membres inférieurs, tout à fait semblables par la forme et la substance aux membranes qui forment le mésentère. Ces processus ressemblent à deux fines membranes remplies d’une abondante quantité de graisse et entre lesquelles passent des veines et des artères. Des membranes semblables s’avancent du péritoine symétriquement et s’attachent aux côtés de tout le vagin et du corps de l’utérus de la même manière que le mésentère est attaché de toutes parts à la partie des intestins que les anatomistes ont appelée « intestins creux », comme nous l’avons enseigné. Et de même que le mésentère recouvre les intestins avec une troisième tunique, de même la terminaison de ces membranes du péritoine qui vont symétriquement à l’utérus forme sa deuxième tunique, beaucoup plus épaisse que celle que le mésentère présente aux intestins ; ceci, parce que cette tunique est formée de quatre portions du péritoine, deux de chaque côté, alors que deux membranes seulement forment la troisième tunique des intestins. Nous voyons que chez les chiennes et les truies l’utérus est séparé en deux parties comme des intestins, et que chaque partie est attachée individuellement au péritoine seulement sur son côté dans la région lombaire : alors que l’utérus unique et simple de la femme est attaché au péritoine sur les deux côtés. L’épaisseur de la tunique n’est pas seulement due au fait qu’elle est formée de tant de parties du péritoine, mais au fait qu’elle est comprimée et rassemblée dans un utérus contracté et non gravide, comme je vais le dire aussi au sujet de la tunique interne.

La tunique interne du corps de l’utérus lui est particulière et n’appartient qu’à ce corps, elle n’est pas attachée au péritoine, et elle constitue la substance de l’utérus précédemment décrite. Dans un utérus non gravide (ce qui sera implicite si je ne donne pas d’autre précision), cette tunique est plus épaisse que toutes les autres qui entourent d’autres organes dans le corps, comme si les trois tuniques entourant l’estomac et les intestins étaient entrelacées ensemble. Elle ne paraît cependant pas également épaisse partout. Là où elle forme l’orifice du corps de l’utérus, elle est très épaisse et un peu plus compacte que partout ailleurs : elle est aussi très épaisse au milieu de la partie en haut du corps, comme je l’ai dit dans la description de la cavité utérine, étant pour ainsi dire saillante dans cette cavité même. Par ailleurs à l’endroit où l’utérus se termine en angles obtus et reçoit les vaisseaux transportant la semence, ceux qui dissèquent observent que cette tunique est plus fine et moins dense que partout ailleurs. Mais sur les côtés, à l’avant et à l’arrière, elle semble si épaisse et si compacte que si vous la disséquez, vous ne verrez que sa substance sans pouvoir distinguer ses fibres qu’elle a en abondance. Vous comprendrez aisément que ceux qui veulent que cette tunique soit double, une à droite et une autre à gauche, comme si vous vouliez former une coupe en joignant le creux des mains opposées et imaginer que chaque main est une tunique, sont le jouet de leur imagination. Le passage dans le livre de Galien, La dissection de l’utérus, a eu tellement d’autorité qu’en le lisant et en recherchant ensuite la structure de l’utérus, ceux qui avaient la pratique de la dissection ont renié leur propre sens et ont décrit une tunique symétrique, même si elle ne l’est pas. Ils n’auraient assurément pas commis cette erreur s’ils avaient divisé l’utérus d’une vache ou d’une chèvre, car c’est cela que Galien décrit, et pas l’utérus d’une femme. En effet si vous entreprenez de disséquer avec soin un utérus de vache, et que vous détachiez de la partie intermédiaire entre le vagin et l’endroit où l’on voit qu’elle se termine en corne de bélier, la tunique provenant du péritoine, qui est une tunique unique et commune à toute cette partie de l’utérus, vous verrez immédiatement la tunique interne de l’utérus : celle-ci n’est pas unique, comme la tunique externe l’est, mais elle est constituée de deux parties, chacune d’elles étant propre à une des parties de l’utérus. Lorsque la tunique externe a été enlevée, la partie de l’utérus de vache que l’on voyait d’abord comme unique, est maintenant double, comme votre index joint au médius, ou comme je le disais à propos des cornes de bélier, comme si vous reliiez ensemble les racines des cornes sur leurs côtés internes. Ce n’est pas seulement cela que vous devez examiner dans un utérus de vache, par souci de Galien ; mais lorsque vous aurez soigneusement détaché la tunique externe commune aux deux parties du corps de l’utérus de la tunique interne qui appartient en propre à chacune des deux parties de l’utérus, vous pourrez observer attentivement l’entrelacement de veines et d’artères qui se trouve entre les deux tuniques et qui mérite un examen approfondi ; cet entrelacement est si fortement attaché à la tunique interne que Galien a considéré que la tunique interne devait être appelée tunique veineuse (ce qu’elle est en effet). Mais chez la femme, la substance de l’utérus est si compacte qu’on peut à peine y discerner des veines aussi fines que des cheveux et que chez la femme non enceinte, l’entrelacement de veines dans la tunique interne n’est pas visible.

La nature des fibres
de la tunique interne de l’utérus

Mais on traitera des veines et des artères utérines un peu plus tard, maintenant il convient d’expliquer les fibres de la tunique interne du corps de l’utérus de la femme ; cette tunique est unique, comme nous l’avons dit, et entrelacée de trois genres de fibres : les plus intimes sont verticales, mais peu nombreuses ; les plus externes sont circulaires ou transversales, elles sont plus nombreuses que les fibres verticales. Entre les deux, il y a aussi des fibres obliques, qui sont les plus nombreuses et aussi les plus fortes. Ces trois types de fibres n’apparaissent pas différentes dans un utérus de femme ayant déjà eu une grossesse, et on peut aussi les voir dans une vessie gonflée?

La nature de l’utérus
des femmes enceintes

Mais chez une femme enceinte tout est modifié ; en effet les veines et les artères qui vont à l’utérus sont grandes et parfaitement visibles ; la tunique interne de l’utérus devient plus fine et moins dense, et plus nerveuse au fur et à mesure que l’utérus s’accroît en volume ; elle n’apparaît plus exsangue ni sans veines apparentes, mais de grandes et nombreuses veines ont déjà entrelacé sa substance sur la surface interne jusqu’au placenta et leur parcours est très visible. Enfin (pour le dire en un mot) dans l’utérus de femmes enceintes tout est

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plus ou moins modifié par rapport à l’utérus d’une femme non enceinte.

La substance du vagin

La Nature a octroyé à la substance du vagin quelque chose en commun avec le pénis, plus précisément avec la substance dont sont formés les deux corps et le gland du pénis, comme nous l’avons dit. De même que ces corps sont formés d’une enveloppe dont la substance est intermédiaire entre le nerf et la chair, remplie d’une autre substance caverneuse et spongieuse, de même le vagin a une tunique charnue et nerveuse, possédant une certaine quantité de ce genre de substance caverneuse. C’est grâce à cette substance que le vagin se dresse comme le pénis, lorsqu’une femme désire l’acte sexuel, que les petites éminences (que d’autres nomment « ailes ») de la vulve et les petites caroncules charnues saillent en-dehors, et que la cavité du vagin se contracte pour entourer le pénis et se tend suffisamment pour une éjaculation directe de la semence masculine. Les autres anatomistes ont peu remarqué cela, et ont imaginé que le vagin est entrelacé de muscles nombreux et circulaires, comme le col de la vessie. Même si cela devait augmenter le plaisir des relations sexuelles pour beaucoup de femmes, au point qu’elles laisseraient les médicaments contractants et affermissants dans nos officines, la Nature aurait alors donné aux parties génitales un pouvoir volontaire excessif, et aurait par je ne sais quel moyen soumis le pénis plus qu’il ne faut à la volonté du vagin. Cependant il n’a pas échappé aux anatomistes le fait que le vagin est plus délicat et plus mou à l’âge tendre ; au contraire, chez les femmes plus âgées, et chez les multipares, il devient plus calleux avec le temps, au point qu’on peut le comparer à du cartilage ou à la trachée chez la femme âgée. En effet par le frottement constant des parties qui se rencontrent et par le contact des parties extérieures, le vagin devient calleux et à cause de lavages fréquents avec des substances astringentes et du flux persistant des menstrues, il devient aussi induré, de la même façon que les ulcères se transforment habituellement en fistules à cause du flux continu d’humeur âcre qui en coule. Les veines et artères insérées sur le vagin des femmes non enceintes m’ont toujours paru plus apparentes que celles insérées sur le corps de l’utérus, mais il est certain que la situation est inversée pendant la grossesse. J’ajouterai en temps opportun la série de veines et d’artères en même temps que la structure des vaisseaux séminaux, après avoir ajouté à mon exposé les connexions de l’utérus, ceci pour achever l’explication de toute sa structure.

La nature des testicules
[ovaires] de la femme

Les testicules féminins s’étendent sur les côtés latéraux de l’utérus ; chez les femmes qui ne sont pas enceintes ils se trouvent un peu plus haut que le haut du corps de l’utérus, chez les femmes prégnantes, leur position ne change pas, mais au fur et à mesure que l’utérus s’accroît en volume, les testicules semblent se trouver sur ses côtés, plus bas que son sommet. Ils sont supportés par la partie du péritoine à l’endroit où les os iliaques sont joints au sacrum, mais de manière très lâche, car ils sont attachés au péritoine seulement par les vaisseaux séminaux. Les testicules féminins sont beaucoup plus petits que les masculins, mais de forme plus allongée et moins ronds en largeur, et puisqu’ils devaient être plus larges qu’épais, ils sont déprimés à l’avant et à l’arrière. Leur surface externe est irrégulière, pour ainsi dire couverte d’un grand nombre de petites éminences de différentes tailles comme si de nombreuses petites glandes y étaient attachées. Ces testicules ne sont pas de la même substance que celle des testicules masculins qui est molle, continue et uniforme, polie par un liquide qui leur est propre, mais ils ont une substance plus dure, qui ressemble au corps glanduleux appartenant au mésentère et à la membrane inférieure de l’omentum, et à part les fins plexus de veines et d’artères qu’elle contient, elle est bosselée et creusée. En effet, les testicules féminins contiennent non seulement ces vaisseaux mais aussi de petites cavités (sinus) remplies d’une humeur fine et aqueuse . Au cours d’une dissection, si on presse un testicule féminin en bon état, il produit un bruit sec comme une vessie gonflée, et du liquide s’échappe en étant projeté très haut, comme une fontaine. Ces sinus n’ont pas de forme particulière : ils sont irréguliers, comme la surface externe des testicules eux-mêmes, il n’y en a pas un seul, mais ils sont nombreux et leur nombre peut varier.

L’enveloppe
des testicules féminins

La substance des testicules féminins est complètement recouverte par une enveloppe membraneuse, qui s’attache très fortement à elle. Cette enveloppe est dure, mais fine, beaucoup moins dure et moins épaisse que l’enveloppe interne des testicules des hommes : aussi, elle ne se laisse pas aussi facilement détacher de la substance du testicule [ovaire] quand on la dissèque, car elle participe de cette substance. Cette enveloppe a la même fonction chez les femmes que chez les hommes : elle est apte à recevoir les vaisseaux séminaux de la femme et à maintenir ensemble la substance des testicules. Outre cette tunique, les testicules de la femme n’ont aucune autre enveloppe, si on excepte les processus membraneux du péritoine contenant les vaisseaux séminaux et ressemblant beaucoup à des ailes de chauve-souris autour d’eux, mais qui entourent seulement leur partie centrale sans les envelopper totalement, ce que fait la tunique externe du testicule masculin.

La nature des vaisseaux
séminaux [ovariens] de la femme

Les vaisseaux séminaux de la femme sont semblables à ceux des hommes : ce sont deux artères et autant de veines, ayant une origine semblable à celle des vaisseaux masculins, mais différant par leur cours et leur système de distribution. En effet la veine et l’artère du côté droit, comme les vaisseaux symétriques à gauche, sont étroitement soutenus par le péritoine dès leur tout début, comme chez les hommes, et elles cheminent vers le bas et vers la droite, en direction du testicule [ovaire] de leur côté ; dès que l’artère se joint à la veine, elles avancent ensemble sur une certaine distance hors de la grande cavité du péritoine et commencent à faire des tours et des détours comme les vaisseaux masculins. Mais ce n’est pas tout leur corps qui participe à ces détours, car la veine et l’artère dirigent une moitié d’elles-mêmes dans le haut du corps de l’utérus situé de leur côté, en se distribuant par de nombreux vaisseaux dans le fond de l’utérus. La partie restante au début de ces « vrilles » commence à s’enrouler de plus en plus, comme chez les hommes, et forme le corps variqueux attaché au sommet du testicule [ovaire] par sa base, et, comme chez les hommes, se ramifie dans la substance des testicules [ovaires] et dans l’enveloppe qui les entoure. En plus, le vaisseau transportant la semence [tube utérin] chemine le long du corps du testicule [ovaire] comme chez l’homme, mais il encercle plus le testicule [ovaire] de plus près et pas seulement à l’arrière.
Depuis son début sur la face interne de la base du corps variqueux,

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le vaisseau transportant la semence [tube utérin] s’attache au bord latéral du testicule [ovaire], ensuite à sa partie inférieure et un peu au côté médian, mais il donne moins de vrilles que le vaisseau masculin [epididymis]. Ensuite comme il monte un peu en avant à partir du testicule [ovaire] et qu’il ne lui est plus attaché, il perd ces circonvolutions vermiformes, devient rond et lisse comme un nerf. Il se dirige vers l’utérus par un chemin erratique et s’insère au milieu de la corne droite.
Peu m’importe les noms que l’on donne à ces organes : pour moi, puisque leur forme et leur substance ressemblent à celles des organes masculins, je leur donnerai les mêmes noms que ceux que j’ai l’habitude de leur donner pendant que je les montre, sans vouloir disputer avec Aristote, pour savoir si ces organes produisent aussi une semence, comme chez les hommes, ou seulement une humeur destinée au plaisir.

Les veine
et artères de l’utérus

En outre, ces vaisseaux sont supportés et conduits sûrement par de grasses membranes [ligaments larges] issues du péritoine, qui dissimulent généralement tous les vaisseaux quand on dissèque. En plus des veines et des artères mentionnées ci-dessus, qui tirent leurs débuts des vaisseaux séminaux, d’autres vaisseaux se dirigent à l’utérus, ils sont beaucoup plus grands [veine et artère iliaques communes] et proviennent de la veine cave et de la grande artère après leur division au-dessus du début du sacrum . Après la division de ces vaisseaux, chacun des deux grands troncs se divise à son tour en deux branches remarquables, mais d’inégale grosseur : l’une [a. iliaque externe] qui est la plus grande accède à la jambe en passant par l’aine, l’autre [a. iliaque interne], plus petite et située plus bas, se termine en se glissant dans le foramen de l’os pubis [foramen obturateur]. Les veines et les artères de l’utérus sont issues des branches plus petites et plus basses de la deuxième division. En effet les branches se trouvant sur le côté droit (comme celles sur le côté gauche) envoient chacune une grande branche : la veine envoie une veine, l’artère envoie une artère. Elles cheminent ensemble et vont au côté droit de l’utérus près de l’orifice de son corps, où elles dispersent de nombreux vaisseaux, certains vers le haut dans la partie inférieure du corps de l’utérus, d’autres vers le bas, par le vagin, quelques-uns aussi vers la vessie. Chez les femmes qui ne sont pas enceintes les vaisseaux qui vont au corps de l’utérus apparaissent plus fins et moins nombreux que ceux entrelacés dans le vagin et surtout près de l’orifice du corps de l’utérus. Les veines et les artères qui montent le long des muscles droits de l’abdomen [ v. et a. épigastriques inférieures] ne sont pas originaires de ces vaisseaux qui cheminent vers l’utérus, comme on pourrait le penser, et ne deviennent pas communs avec les vaisseaux [ v. et a. épigastriques supérieures] qui se dispersent à l’arrière du sternum; en effet ces vaisseaux sont originaires de principales veines qui traversent l’aine pour cheminer dans la jambe et dont des ramifications cheminent jusqu’à la vulve et ses petites protubérances (colliculi). Des nerfs émergeant des paires de nerfs du sacrum accompagnent ces veines et artères utérines de chaque côté ; ils courent au moyen de fins rameaux principalement dans le vagin et autour de la partie inférieure du corps de l’utérus, envoyant également des rameaux à la vessie. De petits nerfs très fins se dispersent parfois dans la région du haut du corps de l’utérus, provenant de branches de la sixième paire de nerfs crâniens qui s’étendent le long des racines des côtes. Mais comme ces petits nerfs sont extrêmement fins, blancs et supportés par de grasses membranes, il est très difficile de les voir en disséquant.

Les parties auxquelles l’utérus
est attaché et celles avec lesquelles
il est seulement en contact

Donc, pour moi, il est maintenant tout à fait clair de savoir avec quelles parties l’utérus est seulement en contact et à quelles autres il est attaché et relié. En effet les régions antérieures, postérieures et supérieures du corps de l’utérus ne sont attachées à aucune des parties qu’elles touchent, mais les côtés sont attachés aux membranes guidant les vaisseaux de l’utérus ; ces membranes attachent solidement l’utérus au péritoine et produisent la tunique externe de l’utérus ;

Les muscles de l’utérus

elles sont également entrelacées avec des fibres charnues qui forment deux muscles au moyen desquels l’utérus a un léger mouvement volontaire vers le haut lorsque que les femmes appuient sur leurs flancs comme pour les contracter ; ils avancent si obliquement et deviennent si épais lorsqu’ils approchent de l’utérus qu’un jour j’ai pensé, à tort, que ces muscles étaient les cornes de l’utérus ; évidemment je voyais bien que les angles obtus des utérus de femmes ne ressemblent pas exactement à des cornes, mais je ne pensais pas encore que je serais obligé de disséquer une vache ou une chèvre pour comprendre ce que Galien, le premier des anatomistes, signifiait. Le vagin est aussi attaché sur les côtés aux membranes et aux vaisseaux qui s’étendent vers ce col, et à travers eux, il est connecté (mais de façon lâche, comme l’utérus) au péritoine. À l’arrière, environ à la moitié de sa longueur, là où il est le plus proche du corps de l’utérus, il s’appuie sur le rectum de la même manière que nous voyons les circonvolutions intestinales couchées les unes sur les autres. Mais à la terminaison du vagin dans la vulve, il est attaché très solidement à l’orifice anal, comme si l’intestin et lui-même avaient une même tunique, comme nous ne doutons pas du fait que l’œsophage et la trachée ont aussi une tunique commune. À l’avant, un peu plus haut près de l’orifice de l’utérus, on trouve seulement la vessie, mais un peu plus bas la partie inférieure de la vessie et son col sont attachés au vagin par des fibres. Là où le col de la vessie s’insère dans le vagin, il se forme une espèce de tunique et de corps communs aux deux : à la terminaison, là où le vagin se termine dans la vulve, ils forment un corps commun au vagin et à la peau, semblable au corps formé par les lèvres et l’anus. Excepté qu’elle est ici couverte de poils, cette peau a sous elle une graisse assez dure comme sur le menton, elle devient flaccide chez les femmes âgées comme les seins -même si leur vagin devient plus dur- et elle ne peut plus aussi bien soutenir les petites protubérances de la vulve ou ailes, qu’elle le fait chez les femmes jeunes.

Les caroncules proéminentes
à l’orifice du vagin

Mais comme tout cela peut se voir sans disséquer de cadavres, il n’est pas nécessaire de donner des explications détaillées : cela s’applique aussi aux premiers plexus [grandes lèvres] dans la vulve et aux caroncules charnues proéminentes symétriques, longues et fines, provenant d’une longue base et se terminant en pointe. Nous avons établi que les Grecs les appelaient numphe , ils enseignaient que leur excision provoque un flux de sang plus important qu’on ne pourrait penser et que la cicatrice est longue à se former, comme c’est le cas pour d’autres ulcères à cet endroit. Ils enseignaient que chez certaines femmes ces chairs plus ou moins « dures comme le cuir » s’accroissent tellement qu’elles sont cause de honte et de difformité,

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et qu’elles sont aussi vues comme le signe d’une grande impudicité dans beaucoup de nations, alors qu’en fait étant continuellement échauffées par le frottement des vêtements, elles excitent au plaisir et suscitent l’ardeur amoureuse. C’est pour cela que chez les Égyptiens principalement on les excisait avant qu’elles n’aient pu devenir proéminentes, et cela dès que les jeunes filles étaient en âge de se marier. Vous apprendrez en lieu opportun quelle est leur fonction principale.

Fonction de l’utérus
et explication de sa conformation

L’utérus est apte à recevoir la semence et à contenir le fœtus jusqu’à ce qu’il soit achevé et qu’il puisse être nourri par autre chose que du sang ; il est placé dans la partie la plus basse du tronc du corps, l’endroit le plus approprié qu’on puisse imaginer pour le coït et la réception de la semence comme pour le développement du fœtus après qu’il a été conçu et pour sa naissance une fois achevé.

Explication de sa localisation

C’est pour cela que l’utérus est situé loin de la face et de la très noble citadelle de la raison ; là aucun os ne forme de barrière qui pourrait empêcher l’utérus de s’accroître dans des proportions étonnantes, et quand c’est l’heure de la naissance, la sortie de l’enfant vers le bas et en direction des jambes est facilitée.

Explication de sa forme

Le corps de l’utérus a une forme presque sphérique, ce qui accroît sa capacité et le rend moins exposé à être endommagé. Ensuite le corps est unique et simple, car il doit contenir un seul fœtus ; il est cependant plus large qu’épais, parce qu’il contient parfois des jumeaux. Mais il n’est pas double, il n’est pas allongé comme l’intestin, comme l’utérus chez les chiennes, les truies et en général chez les animaux qui mettent toujours au monde plusieurs fœtus en même temps.

Explication de sa taille

Chez les femmes non enceintes, il est petit et beaucoup plus contracté qu’on ne le penserait, ceci pour qu’il comprime le moins possible d’autres organes, et sa cavité devra être suffisamment petite pour permettre que le fœtus soit étroitement entouré, sans laisser aucune de ses parties sans contact.

Explication de sa substance

Sa substance apparaît également appropriée à sa fonction, car l’utérus peut facilement se contracter et se resserrer quand il ne contient rien et en revanche il peut progressivement s’accroître de manière étonnante, proportionnellement au développement de son contenu. Loin d’être faible et incapable de se distendre sans être déchirée, cette substance est au contraire solide et résistante à ce qui pourrait l’endommager, car elle est entrelacée de fibres qui sont fortes et ne sont pas disposées au hasard. Ses fibres intimes sont verticales car elles doivent avant tout attirer la semence, mais elles sont peu nombreuses parce que la semence peut se glisser facilement à l’intérieur, justement en raison de son tempérament, étant fluide et transportée par le membre ad hoc. La plupart des fibres sont obliques, succédant aux verticales, parce que ce qui a été conçu doit être retenu pendant un très long temps. L’utérus a aussi des fibres transverses externes, parce qu’il n’en a besoin que lorsque le fœtus ayant été suffisamment longtemps retenu va se présenter au jour. L’utérus est contenu par une tunique unique et épaisse, au contraire de l’estomac, contenu par deux tuniques, l’une charnue et l’autre nerveuse ; personne ne met cela en doute parce qu’un utérus doit seulement entourer et contenir et qu’il n’a pas, comme l’estomac, la charge de cuire et d’élaborer quelque chose à partir de son propre nutriment .

Explication de la superficie
et connections

L’utérus reçoit du péritoine une solide tunique, qui enveloppe sa propre tunique et lui sert de protection. Cette tunique est couverte et enduite sur sa face externe d’une humeur aqueuse, comme les autres parties qui sont en contact mutuel, mais qui ne demandent pas à être attachées. En effet si le corps de l’utérus des femmes non enceintes était attaché à la vessie qui se trouve au-dessus de lui et au rectum qui se trouve en dessous , ainsi qu’aux parties voisines, non pas avec des liens lâches comme présentement, mais avec de solides chaines, qui ira dénier que dans ce cas l’utérus ne pourrait pas se distendre aisément en même temps que le fœtus ou même qu’il ne pourrait pas se mouvoir dans le coït ou dans l’accouchement, comme un animal ? Derechef, si, durant la grossesse, l’utérus était attaché à toutes les parties avec lesquelles il est actuellement seulement en contact, comment, je vous prie, pourrait-il se contracter de nouveau et retrouver l’étroitesse demandée pour envelopper la semence ? Et il ferait toujours obstacle à la fonction des intestins – ce que personne ne doit souhaiter !

Explication de l’orifice de l’utérus

L’orifice du corps est tel qu’il est toujours fermé sauf quand il admet la semence par un instinct naturel ou quand il doit donner passage au fœtus ou aux menstrues. C’est à juste titre, comme je l’ai dit précédemment, que son ouverture ou sa fermeture sont indépendantes de la volonté de la femme. Personne ne doit douter que cet orifice est fait d’une substance plus épaisse et plus dense que le reste du corps de l’utérus, ce qui fait qu’il est protubérant à la façon d’un gland dans la cavité du vagin, et qu’il a été formé pour s’ouvrir autant qu’il est nécessaire au moment de l’accouchement sans risquer d’être lacéré ou déchiré par cette grande extension.

Explication du vagin

La Nature a montré une grande prévoyance en formant la substance du vagin. Qui l’ignore ? Elle l’a construit pour qu’il puisse facilement s’allonger et se dilater pour recevoir la semence, et elle a permis qu’il se contracte et qu’il se ferme avec des circonvolutions pour qu’il n’y ait pas d’espace vide à l’intérieur et que l’utérus ne se refroidisse pas. Nous avons déjà remarqué que sa substance convient au prurit amoureux. Pour que l’utérus ne se refroidisse pas, les nombreuses circonvolutions et plis du vagin sont d’une grande utilité et on pense que les petites protubérances de la vulve et les caroncules charnues remplissant le début du vagin ont la même fonction.

Explication des vaisseaux séminaux et des testicules

L’origine et le trajet des vaisseaux séminaux chez les femmes, la substance et la conformation de leurs testicules me persuadent que les femmes ont de la semence : mais il est indubitable que cette semence est plus humide et plus froide que celle de l’homme, parce que les testicules sont plus petits et qu’ils reçoivent seulement la moitié de la veine et de l’artère séminales ; ensuite parce que, même s’il n’y a pas de dissection montrant la semence féminine, il est établi que la femme est plus froide. Et les fréquents rapports sexuels des prostituées ne sont pas une preuve que les femmes ont plus de semence que les hommes, ou plus de cette humeur qui, selon Aristote, a été donnée aux femmes pour le plaisir, puisque cela se mesure non à partir de la fréquence des coïts mais à partir de la

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fréquence d’éjection de cette semence ou humeur et de son abondance (et sur ce point, les hommes l’emportent de beaucoup sur les femmes). Au surplus, ce que nous avons dit au sujet des organes spermatiques de l’homme explique suffisamment la fonction et l’usage des vaisseaux et des testicules féminins.

Explication des nerfs
et des veines

Afin que l’utérus et surtout son vagin soient pourvus d’une juste sensibilité, de nombreux nerfs ont été insérés dans ces organes, comme en atteste clairement la sensibilité qu’ils possèdent dans les faits. D’autre part, nous avons dit que l’utérus est nourri par les veines qui cheminent dans son corps de l’utérus et dans le vagin, comme le fœtus est nourri par les veines qui sont propres au corps de l’utérus quand la femme a conçu ; il est également certain que les artères accomplissent la même fonction ici que dans le reste du corps, ce dont atteste avec autant de netteté que d’agrément la dissection d’un utérus gravide.

La source des purgations menstruelles

Et il est également indubitable que les purgations menstruelles des femmes sont évacuées par des veines qui vont à l’utérus : mais vous pouvez vous demander comment cela se fait, et par quelles veines, celles du corps de l’utérus ou celles du vagin, le sang s’écoule essentiellement, si vous êtes un admirateur zélé des œuvres de la Nature, si vous n’avez pas prêté foi aux mots d’un quelconque magister, et que vous aussi vous soyez dans le doute à ce sujet, non seulement avec moi mais aussi avec des hommes de la plus grande érudition, Joachim Roelants, premier médecin à Malines, rarissime gloire de notre cher Brabant, et Vitus Tritonius Athesinus, le plus agréable compagnon parmi mes étudiants : ils ont correspondu plus d’une fois avec moi sur ce sujet, et surtout à propos du soixantième aphorisme du cinquième livre d’Hippocrate et du commentaire de Galien sur le même aphorisme . Ce n’est pas que nous ignorions ce qu’est le sang menstruel, quelles sont sa nature et sa quantité, pour quelle raison il est abondant chez la femme, comment il nourrit le fœtus, combien de choses fausses au sujet de son caractère pernicieux et de sa mauvaise odeur ont été écrites par Pline et par Albert le Grand parmi beaucoup d’autres. Nous ne doutons pas non plus (même si certains ont une opinion contraire) du fait que ce sang ne s’accumule pas peu à peu dans la cavité du corps de l’utérus pendant tout l’intervalle d’un mois et s’écoule de l’utérus enflé après une période d’un mois. Si les choses étaient ainsi, le sang menstruel ne serait pas fluide et il ne s’écoulerait pas comme celui qui s’égoutte des narines ; or, le sang menstruel ne diffère pas de ce dernier, ni par la forme de l’écoulement, ni par tout autre chose excepté peut-être qu’il est plus fluide, plus aqueux et pourvu d’autres qualités de ce genre. S’il était retenu dans l’utérus, qui pourrait ignorer qu’il devrait se coaguler et être évacué en caillots ? Pour ne pas parler de l’orifice de l’utérus qui ne pourrait pas s’ouvrir dans le rapport sexuel sinon juste après la purgation chaque mois ; autrement, quand la femme serait pénétrée et accepterait la semence par l’orifice de l’utérus ou quand cet orifice évacuerait la semence, la voie serait également ouverte pour le sang menstruel qui s’évacuerait ainsi. En fait, cela repose fortement sur une conjecture, d’après certaines femmes qui, juste après avoir accouché, rejettent un sang qui n’est ni fluide ni ténu, mais épais et coagulé, avec une espèce d’humeur séreuse ; cela ressemble au sang obtenu par la saignée d’une veine, que vous auriez collecté pendant quelques heures dans un récipient en verre, puis coupé en morceaux avec un scalpel et jeté sur le sol. J’ai occasionnellement vu du sang ayant cet aspect être évacué par ces accouchées, tout juste comme si les veines qui vont au corps de l’utérus et qui étaient attachées au placenta, étaient encore ouvertes et répandaient du sang dans la cavité utérine : ce sang s’éliminait de la vulve sous cet aspect coagulé et non pas en s’écoulant comme d’habitude.

Nous pouvons donc en déduire avec certitude que le sang menstruel ne s’accumule pas progressivement dans la cavité utérine chez les femmes en bonne santé, et nous pouvons penser, comme nous le voyons dans la dissection des fœtus, que ce sont les veines se dirigeant au corps de l’utérus et au vagin, là où ils sont soutenus par leurs propres membranes, qui augmentent de volume en accumulant progressivement ce sang, puis qui le rejettent une fois par mois par leurs petits orifices ouverts. Je ne peux pas affirmer que cela m’est apparu en disséquant une femme, mais ce que j’ai remarqué avec satisfaction chez un homme souffrant d’hémorroïdes est une preuve certaine qui me permet d’affirmer que ce sang est conservé dans les veines et pas dans la cavité utérine. À intervalles réguliers, comme les femmes pour leurs mois , cet homme avait souffert d’un flux de sang épais en provenance des veines qui s’étendent à l’anus ; il était mort à la suite d’une « jaunisse noire » (arquatus niger) et d’une étonnante induration du foie ; je le disséquai pour rechercher si les branches évacuant ce sang appartenaient à la veine porte ou à la veine cave. Et je remarquai qu’une branche de la veine porte, cheminant sous la terminaison du colon, sur toute la longueur du rectum dans le mésentère, était presque aussi épaisse que le pouce et était gonflée par un sang plus épais et contenant plus de lie, alors que les branches de la veine cave cheminant vers cet endroit n’avaient subi aucune modification. Je me considèrerais donc comme un sot si je doutais encore plus longtemps de l’origine de ce sang « mélancolique », à savoir s’il provient plus généralement des branches de la veine porte, ou s’il provient de celles de la veine cave, et si je n’étais pas complètement persuadé que ces veines trop pleines de sang, après l’avoir progressivement accumulé, le rejettent alors par leurs orifices ouverts. Et je pense que cela se passe ainsi chez les femmes ; mais si ces mois proviennent toujours des veines de l’utérus ou toujours de celles du vagin, ou tantôt des unes, tantôt des autres, j’avoue que je ne le sais pas et que je ne peux pas affirmer comme certain ce qui me paraît sensé à tout point de vue. Car jusqu’à ce jour, je n’ai encore jamais rencontré de femme non enceinte, dont les veines fussent différentes en grosseur de celles des autres femmes, bien que j’en aie vu un très grand nombre atteintes différemment. Par exemple d’abord à Paris, lors d’une dissection publique, j’ai disséqué une courtisane d’une rare beauté et dans la fleur de l’âge, morte par pendaison. À Padoue, j’en obtins une autre, qui s’était donné la mort avec un lacet. À Padoue encore, j’obtins la belle prostituée d’un moine de l’ordre de saint Antoine, morte subitement par strangulation de l’utérus ou par apoplexie (attonitus morbus) ; les étudiants avaient enlevé le cadavre du tombeau et l’apportèrent pour une dissection publique ; ils avaient pris grand soin d’enlever toute la peau du cadavre, afin que le moine ne pût l’identifier, car lui-même et les parents de la prostituée s’étaient plaints auprès du préfet de la ville que le corps avait été enlevé du tombeau.

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L’année dernière, nous avons obtenu le cadavre d’une pauvre femme très âgée, morte de faim (comme je le suppose) dans ce temps de disette ; le cadavre fut apporté dans les écoles de la même manière. Le dernier corps qui nous échut était celui que nous avons utilisé pour la vingt-quatrième et la vingt-septième figures : la femme avait faussement feint d’être enceinte par crainte d’être pendue. Mais sur l’ordre du préteur, elle avait été interrogée par les sages-femmes (qui affirmaient qu’elle n’était pas enceinte) et ne voulut pas indiquer depuis quand elle n’avait plus ses purgations menstruelles, bien que nous ayons mis tous nos soins à obtenir d’elle cette information. Mais chez ces femmes comme chez toutes les autres que j’ai vues non enceintes, les veines étaient identiques, et il n’était pas possible de se représenter par quel moyen elles pouvaient conduire ce sang dans le corps de l’utérus à travers son épaisse et dense substance, principalement parce que chez ces femmes les veines étaient fines comme des cheveux et étaient peu visibles. Mais les veines qui s’étendaient au vagin et à la partie la plus basse du corps de l’utérus apparaissaient plus épaisses et les mois semblaient pouvoir s’écouler d’elles ou être évacués beaucoup plus facilement. La dissection pourrait donc nous convaincre que le sang menstruel est toujours éliminé des veines entrelacées dans le vagin.

Conférence en ligne

Les leçons du scalpel.
De l’anatomie à la physiologie féminines dans quelques

textes anatomiques de la première modernité.
par Jacqueline Vons

Parfaitement symétriques, en regard l’un de l’autre, les deux beaux nus, un masculin et un féminin, représentés dans l’Epitome (1543) d’André Vésale peuvent être considérés comme une introduction artistique à l’investigation anatomique de corps sexués mis à égalité. La dissection doit permettre de montrer et d’expliquer l’agencement interne du corps humain en général et les
différences éventuelles en fonction des genres. Si le corps représenté et décrit dans le De humani corporis fabrica est majoritairement un corps masculin, nous verrons comment des observations diffuses, éclatées entre les différents livres de la Fabrica, contribuent à construire l’identité morphologique d’un corps féminin morcelé par la dissection. Il reste cependant que leur incidence
sur les images et les interprétations du sexe féminin est restée faible dans la littérature médicale au début des temps modernes. Le discours médical exploitera les autopsies de corps féminins dans une perspective physiologique liée aux conditions de l’accouchement, et couvrira du voile de la bienséance ce sexe féminin si brièvement dénudé.

https://www.youtube.com/watch?v=IdwSPIYM0Kg

Bibliographie sélective :

Mythologie et médecine, Ellipses, Sciences humaines en médecine, 2000.
L’image de la femme dans l’œuvre de Pline l’Ancien, Bruxelles, Latomus, 2000.
– André Vésale, Epitome. Résumé de la Fabrique du corps humain, texte latin et traduction, introduction et commentaires (J. Vons et S. Velut), Paris, Les Belles Lettres, 2008.
Le médecin, les institutions, le roi. Médecine et politique aux XVIe-XVIIe siècles, http://cour-de-france.fr/article2342.html , p.1-97, 2012.
La fabrique de Vésale. La mémoire d’un livre (ed. J. Vons), Bibliothèque interuniversitaire de santé, Paris, coll. Medic@, 2016.
– Jacqueline Vons, Stéphane Velut, La Fabrique de Vésale et autres textes. Éditions, transcriptions, traductions, (livres I, III, IV, VII publiés), BIU Santé Médecine-Bibliothèques Université de Paris, depuis 2014, Coll. éditions critiques.

Cette conférence a été donnée dans le cadre du colloque organisé par Hélène Cazes (Université de Victoria, Canada), « Représenter le sexe féminin : Images et imaginaires, 16-21 / Uncovering the Female Sexual Anatomy: depictions and discourses, 16th -21st C. May 12 mai – June 9 juin 2021, dans le cadre du projet Perfecta.