L’ATELIER CHAMPIER

Présentation de l’atelier Champier
dirigé par Alice Vintenon

 L’Atelier Champier se propose de conduire sur plusieurs années, et en équipe (littéraires, néo-latinistes et historiens de la médecine), une traduction, annotation et édition du Bellum medicinale de Symphorien Champier (1516). Ce texte de fiction est aussi une entreprise de vulgarisation médicale, car le médecin confronte, sous la forme d’une épopée bouffonne et parfois scabreuse, les options de Galien et d’Aristote autour de l’organe qui domine dans le corps humain (le cœur ou le cerveau).
 Ce travail pourrait être le point de départ d’un colloque autour de l’œuvre médicale de Symphorien Champier, encore peu étudiée (et qui réclame la collaboration de littéraires, de néo-latinistes, mais aussi de spécialistes d’histoire de la médecine et d’histoire de la philosophie), ou plus largement, autour de la vulgarisation et de la polémique médicales à la Renaissance.

L’équipe de l’Atelier Champier :

Anne Bouscharain (CPGE Camille Jullian, Centre Montaigne)
Dominique Brancher (Université de Bâle)
Violaine Giacomotto-Charra (Centre Montaigne, TELEM, UBM)
Sylvie Laigneau-Fontaine (Université de Bourgogne, CPTC)
Judith Rohman (ENS de Paris, Département des Sciences de l’Antiquité)
Alice Vintenon (Centre Montaigne, TELEM, UBM)
Jacqueline Vons (Université de Tours, Centre Montaigne)

Projet de traduction et édition critique du Medicinale Bellum de Symphorien Champier (1516?)
par Alice Vintenon

Pourquoi éditer le Medicinale bellum ?

Souvent considéré comme un compilateur un peu terne, dont la pensée manquerait d’originalité, le médecin Symphorien Champier (né vers 1472 et mort vers 1539) est pourtant l’auteur d’une œuvre très singulière, le Medicinale bellum inter Galenum et Aristotelem gestum, dont, nous semble-t-il, l’édition critique pourrait intéresser aussi bien les littéraires que les historiens de la médecine. Il s’agit de l’unique incursion de Champier dans le genre de la fiction didactique. Terminée et peut-être publiée en 1516 , la Guerre médicale, parue à Lyon chez Simon Vincent, adopte en effet la forme de l’épopée burlesque pour rendre compte d’un questionnement auquel Galien et Aristote ont apporté des réponses différentes : quel est, dans le corps humain, le principal organe ? Aristote, dans les Parties des animaux, accorde sa préférence au cœur : situé dans la partie médiane du corps, il lui donne vie et chaleur en produisant le sang. Galien, quant à lui, plaide pour le cerveau, siège des facultés qui contrôlent l’ensemble du corps humain. Chez Champier, cette controverse s’incarne, de manière originale, par l’affrontement sans merci des armées du Coeur (allié notamment au Foie) et de celles du cerveau (allié aux parties génitales), qui s’affrontent à coups de maladies. Le combat est ponctué de références aux autorités médicales grecques (Aristote, Galien) et arabes (Avicenne, Averroès), signalées notamment par des manchettes.

La place du Medicinale bellum dans l’oeuvre de Champier

Du fait de son thème anatomique et de sa forme fictionnelle, le Bellum occupe une place marginale dans l’oeuvre prolixe de Champier : celui-ci se fait d’abord connaître, lorsqu’il est encore étudiant en médecine à Montpellier, par la publication de petits traités pédagogiques ayant vocation à initier les étudiants aux arts libéraux, comme ceux de la Janua logice et Physice (1498). C’est également à la forme du traité qu’il recourt lorsqu’il publie deux ouvrages d’inspiration ficinienne, le De quadruplici vita (1507), et le De triplici disciplina (1509). Sa Nef des dames vertueuses (1503) manifeste déjà, cependant, une ambition littéraire : l’ouvrage, qui comporte notamment des vies de femmes illustres et un livre sur le «vrai amour», inspiré du De Amore de Ficin, assure à Champier une large notoriété, bien au-delà des milieux médicaux.
Lorsqu’il rédige le Medicinale bellum, sa position sociale est assurée : en 1509, Champier contracte un beau mariage en épousant Marguerite de Terraille, cousine du chevalier Bayard et nièce d’un puissant abbé lyonnais. Il obtient, la même année, le patronage du duc Antoine de Lorraine, dont il devient le médecin personnel, et qu’il accompagne durant les guerres d’Italie. C’est à ses côtés qu’il participe, en 1515, à la bataille de Marignan. Mais ses liens avec Lyon, où il exerce après l’obtention de son grade de docteur (1504), demeurent importants : en 1516, il devient membre du Conseil des douze, ce qui témoigne de sa notoriété. Dans les nombreux textes publiés cette année-là, il soigne son image de médecin humaniste : il publie, chez Jean Marion, deux ouvrages consacrés à la médecine grecque, les Cathegorie medicinales in libros demonstrationum Galeni et l’Epithome commentariorum Galeni in libros Hippocratis, mais aussi, chez Josse Bade, une synthèse medico-philosophique, la Symphonia Platonis cum Aristotele et Galeni cum Hippocrate. En parallèle, il dénonce les erreurs des compilations médicales scolastiques, par exemple celles du Conciliator de Pietro d’Abano, auquel il consacre une Cribratio et des Additamenta, errata et castigationes.
Tant par ses références aux sources grecques que par ses influences littéraires, le Bellum se présente aussi comme un projet humaniste. Il se situe en effet au croisement de plusieurs traditions, notamment l’épopée burlesque (sur le modèle de la Batrachomyomachie), la prosopopée politique des organes qu’est l’apologue des membres et de l’estomac, ou encore l’allégorie mythologique. Si le Bellum multiplie les références à Virgile et Homère, l’intervention de la scatologie et du bas corporel y opèrent un détournement burlesque du modèle épique : dans l’Iliade miniature qui oppose le cœur et le cerveau, le procédé pédagogique qui consiste à décrire à l’occasion des combats les différents organes, leur fonction et les maladies dont ils peuvent être affectés est perturbé par l’entrée en guerre de l’anus. Mécontent de n’avoir été sollicité par aucun des deux belligérants, ce dernier décide, pour être pris en considération, de fermer ses portes pour faire suffoquer les autres organes du corps par ses exhalaisons fétides, qui causent des céphalées et autres maladies. De la même manière, dans la deuxième partie, la victoire du cerveau se teinte d’une touche grivoise puisqu’il doit, avant de retrouver son trône au Palais du Crâne, protéger son alliée, la matrice, incarnée par la reine des Amazones, des tentations de Vénus. Champier injecte ainsi dans son récit un discours moral, qui promeut la chasteté en mettant en avant sa contribution à la santé physique. Mais sa fiction possède aussi une dimension politique : la victoire du cerveau est l’occasion de réaffirmer les hiérarchies établies, en confortant la domination du cerveau et les rôle des différents organes . En quelques dizaines de pages, le Medicinale bellum croise donc médecine, morale et politique, tout comme les textes non-fictionnels de Champier, qui entendent témoigner de sa maîtrise des sujets les plus divers, et lient étroitement le soin du corps à celui de l’âme.
L’ambition pédagogique du texte se reflète dans l’hybridité de son écriture, qui fait en permanence alterner les épisodes épiques et les développements médicaux ou philosophiques. Par exemple, à un chapitre I, 3 dominé par l’anatomie, et consacré notamment à la description du réseau veineux, succède un chapitre narratif, qui relate l’alliance du cœur et du foie. Mais le discours et le récit peuvent également être entrelacés au sein d’un même chapitre : au chapitre I, 7, par exemple, l’évocation de la traîtrise du crâne se clôt, assez abruptement, par un décompte des muscles du corps humain. L’action avance donc par à-coups, en s’interrompant très régulièrement au profit de développements érudits.
Cette progression hachée peut en partie expliquer le Bellum n’ait rencontré qu’un faible écho : en ne livrant qu’au compte-goutte les épisodes épiques, Champier a probablement échoué à captiver les amateurs de fiction. On peut imaginer que ces derniers ont pu rester perplexes devant certaines notions médicales, que Champier ne rend guère accessibles aux non-initiés. Par exemple, lorsqu’il décrit les fièvres que le cœur inflige au camp du cerveau, aucune explication ne permet des différencier ces dernières :
Tantôt, [le Cœur] frappe les ennemis de syncope, tantôt, de crise cardiaque, tantôt, d’extase, de tremblements, d’apostème, et de toutes sortes de fièvres : de fièvre ardente continue, intermittente, amphimérine, tierce, sinoque, quarte, demi-tierce, empiala, liparia, syncopale. C’est par ces armes qu’il frappe les uns et tue les autres.
Familiers de ce vocabulaire, les collègues médecins de Champier constituent probablement le « coeur de cible » du Medicinale bellum. Trois des quatre dédicataires de l’oeuvre (François Dalès, Maître Albert et André Briau) sont d’ailleurs de grands médecins de son temps. Le texte a-t-il pu être lu de Rabelais et l’inspirer dans certaines de ses « fantaisies » médicales ? On peut se plaire à le penser, même si une quinzaine d’années séparent la parution du Bellum de la prise de fonction de Rabelais à l’Hôtel Dieu de Lyon, et de l’écriture de Pantagruel.

L’édition critique

Nous souhaiterions rendre accessible un texte aussi original qu’inaccessible, intéressant par la singularité de son projet comme par les tensions qui expliquent, en partie, son faible retentissement : le choix de la fiction entre en effet en tension avec la lourdeur du dispositif pédagogique, et la tentation de l’obscénité, avec la normativité du discours moral.
La traduction sera préparée par Anne Bouscharain (professeur en CPGE), Sylvie Laigneau-Fontaine (Professeur à l’Université de Bourgogne), Judith Rohman (MCF à l’Université de Rennes) et Alice Vintenon. Des rencontres régulières, à l’occasion d’ateliers de traduction, seront l’occasion d’un travail collectif sur les difficultés du texte. Mais ce travail ne pourrait aboutir sans le concours de spécialistes d’anatomie et d’histoire de la médecine, qui nous aideront, notamment, dans la compréhension du lexique médical. Jacqueline Vons et Violaine Giacomotto-Charra, spécialistes de l’anatomie et de la médecine du XVIe siècle, s’occuperont prioritairement de ces aspects.
Le texte de Champier suppose aussi un important travail d’annotation, pour élucider les références citées (Aristote et Galien, mais aussi la poésie latine), mais surtout pour débusquer celles que l’auteur ne revendique pas. Il tait notamment ses nombreux emprunts stylistiques à la littérature antique, ou sa dette à l’égard de Marsile Ficin, qui lui fournit notamment une partie des développements du premier chapitre. Le modèle du Bellum grammaticale d’Andrea Guarna (1511), qui donne à Champier l’idée d’utiliser le récit épique comme vecteur pédagogique, est également passé sous silence.
Nous souhaitons que ce travail soit l’occasion d’échange avec les chercheurs qui contribuent, actuellement, au renouveau des études sur Champier. Son oeuvre, dont des pans entiers restent à explorer, suscite actuellement un regain d’intérêt : en avril 2019, une thèse de littérature sur ses textes polémiques (notamment le Myrouel des appothiquaires) a été soutenue par Gaëlle di Paolo à l’Université Lyon III, sous la direction de Sabine Lardon et Olivier Bertrand. Un colloque, organisé par Michèle Clément, devrait en outre lui être consacré en 2020. Auteur de plusieurs articles fondamentaux sur Champier, Richard Cooper prépare actuellement une nouvelle bibliographie de son oeuvre.

Compte-rendu des séances de l’atelier Champier

1er atelier : 25 juin 2019

L’atelier a réuni :

– Anne BOUSCHARAIN, professeur en CPGE, néolatin.
– Violaine GIACOMOTTO-CHARRA, PU, langue et littérature du XVIe siècle, Université Bordeaux Montaigne, responsable du projet d’équipe « hybridités savantes ».
– Sylvie LAIGNEAU-FONTAINE, PU, langue et littérature latine, néo-latin, Université de Bourgogne.
– Judith ROHMAN, MCF, latin, Rennes.
– Alice VINTENON, MCF, littérature de la Renaissance, Université Bordeaux Montaigne

Programme :
– Présentation du texte et du projet de traduction et édition critique (Alice Vintenon)
– Organisation du travail, partage des chapitres à traduire
– Normes d’édition du texte latin
– Questions diverses.

Séance de travail de décembre 2019

Présentes : Anne Bouscharain, Alice Vintenon
Programme : travail sur les chapitres 1 et 2 du livre I du Medicinale bellum, traduits par Anne Bouscharain.

Séance de travail du vendredi 31 janvier

Présentes : Anne Bouscharain, Alice Vintenon, Jacqueline Vons
Programme : travail sur le lexique anatomique dans les chapitres 1 à 3 du livre I du Medicinale bellum.
Début d’établissement d’un glossaire des termes anatomiques, à compléter au fil des séances de travail.